Inversion Acoustique
Lorsque la pandémie Covid-19 a frappé le monde au début de 2020, une personne proche que je tiens en haute estime m’a dit: “C’est presqu’une chance que cette pandemie ne s’en prenne pas aux enfants, autrement nous risquerions de sombrer dans le chaos, et possiblement une troisieme guerre mondiale”. Cela peut paraitre dramatiquement exagéré, mais à bien y réfléchir, l’est-ce vraiment? Dans beaucoup de cultures, pour ne pas dire toutes, l’enfant représente tellement plus que 98% d’atomes de Carbone, Oxygene et Hydrogene. Pour certains, c’est l’occasion de se racheter d’une vie insatisfaisante, pour d’autres, c’est la promesse de la pérénité du clan, pour ne citer que deux exemples. Le point commun, en general et sans grand risque de se tromper, c’est qu’un enfant représente tout simplement l’avenir de l’espèce et la promesse de son immortalité. S’attaquer à cette promesse, est donc un risque existentiel majeur, requerrant de mettre en oeuvre tout ce qui est en notre pouvoir pour parrer l’attaque, fusse-t-elle d’une entité invisible à l’oeil nu.
Cinq ans plus tard, nous voici à l’aube de vingt-quatre mois d’une attaque totale lancée contre cette promesse d’immortalité, de facon atrocement visible, par une entité à la fois visible et invisible. Et pourtant, contrairement au raisonnement invoqué plus tôt, le monde entier est tombé dans un silence assourdissant. Non content d’être horriblement bruyant, ce silence s’est attaqué de façon violente à toute voix pionnière, aussi insignifiante fusse-t-elle, qui a osé tenter d’arrêter la propagation de son écho macabre. Le génocide des palestiniens à Gaza a provoqué une inversion acoustique, et donné l’impression que l’humanité avait décidé d’abandonner son rêve d’immortalité.
Mais si l’Histoire nous a appris quelque chose, c’est bien qu’une inversion acoustique de ce genre en engendre toujours une autre, porteuse d’espoir. Il suffit qu’un certain seuil d’incubation de courage soit atteint. On dirait bien que nous avons enfin atteint ce seuil. Hélas, il aura fallu perdre des centaines de milliers de vies humaines, chose qu’on pensait impossible après les dizaines de millions de vies perdues dans l’Atlantique et en plein coeur du continent berceau, et plus récemment dans la folie nazie. Encore plus incroyable est le fait que ce gâchis soit la conséquence directe de ceci même que nous avions promis de ne plus faire: enlever toute humanité à ceux qui ne sont pas comme nous.
Alors à l’heure où un vent d’espoir semble enfin souffler dans la direction du soleil levant, défiant les lois de la physique et de l’humain pseudo-rationnel et anti-humain, donnons-nous d’accorder cinq petites minutes de notre vie si pleine et occupée, chaque jour, pour penser et parler d’Hind Rajab, cette petite fille d’à peine cinq ans, future Anne Frank et de la même lignée que cette jeune fille africaine dont personne ne connait le nom parce qu’elle n’avait ni téléphone, ni stylo, pour traumatiser nos nuits avec son décès tragique dans l’Atlantique ou sous la pierre écrasante de cette mine de diamants à destination du pays dont il ne faut jamais prononcer le nom.
Tout comme la traite négrière, tout comme la colonisation de l’Afrique et la résistance qui les ont suivies, tout comme l’holocauste, nous aurons besoin d’invoquer ces pauvres âmes, sacrifiées pour notre confort et nos privilèges, pour nous remettre de ce traumatisme collectif. Et peut-être que notre propre progéniture, que nous avons utilisée, entre autres, comme prétexte, pour opérer cette inversion acoustique, nous pardonne notre manque de courage.